« Notre identité
se construisit en 1584, lorsque
la bible fut traduite
en Slovène par Jurij Dalmatin. »
Bienvenue à Ljubljana !
Abrutie par une longue nuit d’avion entre Nouakchott
(Mauritanie) et Paris (France), suivie d’une attente stressante de 12h dans
l’aéroport parisien en grève, j’avais du mal à garder les yeux ouverts pour suivre les paysages qui
défilaient à travers le hublot de l’avion qui entamait sa descente vers ma
destination. Une destination qui m’est alors totalement inconnue, avec un nom
illisible que j’ai appris à prononcer grâce à l’hôtesse de l’air : Lubiana
– la capitale de la Slovénie.
Quand tout à coup, une vision grandiose me réveilla tout à
fait… Je venais d’apercevoir la magnifique chaîne montagneuse des Alpes
Dinariques qui caractérisent les Balkans : un massif de montagnes noires
coiffées par des cimes toutes blanches, jalonnées de multiples lacs et rivières
– à perte de vue. De quoi couper le souffle à la sahélienne que je suis.
Enroulée de la tête au pied dans les cinq mètres de tissu de ma
melhafa (voile), j’avais l’habitude d’attirer l’attention des polices
d’immigration, et donc je préparais en conséquence mon passeport et mes
documents de séjour à ma descente d’avion. Grande fût ma surprise lorsque je me
suis retrouvée hors de l’aéroport sans avoir rencontré aucun policier ni
gendarme…. C’est bien la première fois que je vivais la libre circulation des
personnes dans l’espace Schengen.
Dehors, un jeune homme blond au visage barbu et accueillant,
m’attendait avec une pancarte portant mon nom. Il venait de la municipalité de Piran
et devait me conduire à Portoroz - le « Port des roses » perché sur
la mer Adriatique - ma destination finale.
Tout au long des 120 km de notre parcours, je découvrais avec
émerveillement les forêts d’hêtres et de sapins blancs qui recouvrent les
massifs montagneux, les vastes landes tapissées de chatoyantes pelouses alpines
à perte de vue. Envolée la fatigue, envolés le stress et l’angoisse, je
respirais à plein poumon l’air vivifiant, je dévorais des yeux l’extraordinaire
paysage vert. Lubiana méritait vraiment son titre de Capitale verte de l’Europe
2016.
Pourquoi la
Slovénie ?
Je venais, si loin de chez moi, pour répondre à l’invitation
de la Fondation Anna Lindh qui organise la première conférence
Euro-méditarréenne sur « la Traduction pour le Dialogue ».
Fidèle à sa mission de construire des ponts entre les deux
rives de la méditerranée et à ses actions qui contribuent à l’élaboration d’une
stratégie interculturelle pour la région, la Fondation Anna Lindh a invité – les
23 et 24 juin 2016 à Portoroz - une centaine d’experts et d’acteurs culturels,
d’une quarantaine de pays, impliqués dans la chaîne de traduction pour
promouvoir le rôle de la traduction dans le dialogue des cultures.
Et le choix de la Slovénie pour abriter une telle conférence
n’est pas le fruit du hasard.
Située en Europe Centrale, membre de l’Union pour la méditerrané
et riche par sa diversité culturelle - fruit de ses nombreuses identités
(Slovènes, Serbes, Croates, Bosniaques, Hongroises et Italiennes) - la
République de Slovénie a toujours été soucieuse de la prospérité, de la
stabilité et de la sécurité dans la Méditerranée.
La Municipalité de Piran, surnommée la Perle de la
Méditerranée, jouit d’une solide réputation de respect des valeurs d’égalité,
de tolérance et de respect qui font d’elle une destination privilégiée des
visiteurs du monde entier.
En entrant dans Piran, j’ai été surprise de voir les signalisations
routières écrites en deux langues : Slovène et Italien. Mon accompagnant
m’expliqua cette singularité par l’existence d’une population locale,
minoritaire, italienne. Et que par conséquent, la ville était officiellement
bilingue.
Il me raconta aussi une autre particularité de la
ville : Piran qui a une population à 100% blanche avait un maire
noir ! Peter Bossman, surnommé l’OBAMA de Piran, est un homme politique
slovène d’origine ghanéenne. Arrivé en 1977 à Lubiana pour suivre des études de
médecine, il épouse une jeune Slovène et s’installe à Piran. Elu en 2010 maire
de la ville, il devient le premier maire noir
d’une ville de l’ex-Yougoslavie.
Dans son discours de clôture de la conférence sur la
Traduction, le ministre Slovène de la Culture, Antone Persak, justifia la tenue
d’une telle conférence dans son pays par l’histoire : « Notre identité se construisit en 1584, lorsque la bible fut
traduite en Slovène par Jurij Dalmatin. Un processus qui s’acheva avec
notre accession à l’indépendance, il y a de cela 25 ans exactement.»
Pourquoi la traduction ?
« La traduction est la langue de la
Méditerranée », déclare Mme Elisabeth Guigou, présidente de la
Fondation Anna Lindh, lors de son discours d’ouverture de cette première
conférence dédiée à la promotion de la traduction comme outil essentiel au
service du dialogue interculturel. « Traduire
aujourd’hui, c’est réconcilier demain. Traduire aujourd’hui, c’est donner les
moyens à ceux qui on tout abandonné, les moyens éducatifs et culturels de
préparer un futur. Traduire aujourd’hui est devenue une stratégie culturelle et
politique nécessaire.»
Considérée comme instrument de transmission des savoirs et
des idées, la traduction est l’une des solutions des plus durables pour faire
face aux défis économiques, culturels, politiques et sociaux qui affectent les
deux rives de la méditerranée. Des défis cristallisés dans l’extrémisme, le
chômage des jeunes, les flux migratoires et la crise des réfugiés, selon les
conférenciers réunis pour débattre et proposer une politique concrète et
ambitieuse à la traduction des œuvres scientifiques et littéraires ainsi que de
tous les formes d’expressions culturelles.
Les conférenciers ont essayé de répondre aux questions
clés : - Pourquoi investir dans la traduction ? – Quels sont les
besoins et les instruments de la traduction pour le dialogue ? – comment atteindre
une nouvelle audience et faire participer les jeunes ? avant de partager quelques initiatives de
traduction comme outil le dialogue dans la région.
Quelques bonnes
pratiques :
« En Grèce, nous avons voulu apprendre aux
enfants dans les écoles à faire la liaison entre leurs vies quotidiennes et la
culture de l’autre. Et c’est ainsi que nous organisons des ateliers de
traduction d’ouvrages de littérature dans les classes du cycle fondamental. »
raconte la panéliste Mme Eleftheria Binikou, traductrice auprès de la
municipalité de Rhodes, lors la session « La traduction comme
médiation ».
« La première fois
que nous avons organisé cet exercice dans une classe, j’ai été agréablement
surprise de voir l’enthousiasme des enfants à jouer, avec une si grande
imagination, des rôles d’interprétations dans une culture qui leur est
totalement étrangère. »
explique Mme Binikou.
« Ma plus belle
expérience a été un atelier de traduction en littérature française : un
ouvrage de l’écrivain Monika Jenova d’outre-mer. » nous dit la
traductrice Grecque. « Nous avions choisi,
exprès, un passage qui se passait à Madagascar avec des mots créoles, où les
héros avaient comme amis le soleil, la forêt et les animaux. Un univers
totalement différent de l’univers des petits citadins qui ne connaissaient que
la ville et les jeux électroniques. Et vous ne pouvez pas imaginer
l’ambiance qui régnait dans la classe avec toute l’énergie que pouvaient
dégager ces petits héros, en s’installant dans leurs rôles. Les interprétations
qu’ils avaient imaginées de ces passages en créoles étaient tellement
fantastiques que nous avons organisés un spectacle avec les meilleurs textes
traduits. »
« Leur
enthousiasme est pour nous une grande source de motivation pour continuer ce
magnifique exercice qui a pour ambition de construire les citoyens de
demain : des citoyens plus humains, moins égoïstes, capables de comprendre
les autres, plus tolérants. Ceci est
important pour nous en tant que Grecques mais aussi en tant qu’Européens,
surtout aujourd’hui que nous recevons beaucoup d’immigrés à cause de la guerre
de Syrie. » .
Pour Abelhamid El-Zoheiry, Président d’EMUNI (l’Université
Euro-méditerranéenne) dont le siège est à Portoroz – il faudrait faire la
distinction entre la traduction linguistique et la traduction culturelle :
la première sert à l’accès aux savoirs et la seconde sert au transfert des
cultures. En citant l’exemple de la crise Syrienne, il a expliqué qu’en
traduisant leur culture et leurs productions culturelles, nous aiderons mieux
leur intégration dans les sociétés qui les accueillent. Il cita aussi les
programmes que développe EMUNI au sein du programme ERASMUS, notamment le
master en business et communication interculturelle – et la traduction d’al
Moqaddima (Prolégomènes) d’Ibn Khaldoun commandée par le gouvernement italien.
« En Palestine,
nous associons les traducteurs dès le début de nos travaux : de l’écriture
aux répétitions. Sinon nos messages ne
passent pas », explique à son tour Marina Barham, la directrice du
Théâtre d’Al-Harah. « Traduire un
contenu culturel est différent de la traduction littéraire et scientifique. En
tant qu’acteurs de la chaîne de traduction, cette conférence nous permet de
nous connaître et d’améliorer nos réseaux de travail – elle permet aussi de
mieux définir nos besoins et nous espérons qu’elle permettra ainsi d’améliorer
la qualité de l’échange culturel dans nos différents pays. »
L’Association Atlas organise depuis plus de 30 ans les
assises de la traduction littéraire. Elle a aussi créé une résidence des
traducteurs littéraires, dénommée le Collège International des Traducteurs
Littéraires. Atlas organise aussi plusieurs ateliers de traduction ouverts aux
jeunes lycéens en France, ce qui lui a valu, en 2015, le Label européen des
Langues décerné par l’agence Erasmus+France.
Fidèle à une vieille tradition andalouse, la « Escuela de Traductores » de Tolède
en Espagne, le challenge - après avoir dépensé plus de 11 millions d’euros dans
la traduction de plus de 9.000 ouvrages publiés – est de créé une nouvelle
génération de traducteurs en offrant des cycles de formation sur les deux rives
de la méditerranée.
L’Union Européenne - qui emploie aujourd’hui deux mille
traducteurs - développe des outils grâce aux nouvelles technologies, pour
assister la communauté des traducteurs pour mieux et plus de traduction.
Le Manifeste de la
Slovénie.
Globalement satisfaits de l’ambiance et des résultats de
cette première conférence – à peine altérée par les résultats du Brexit - les participants se sont réunis une dernière
fois pour faire le bilan, ce samedi 24 juin 2016.
Dans son discours de clôture, le Directeur Exécutif de la
Fondation Anna Lindh, Hatem Attallah - après avoir remercié les panélistes et
tous les intervenants pour leurs riches contributions – remercié les autorités Slovènes
pour la qualité de l’accueil et de leur hospitalité dans le majestueux centre
de congrès de Slovénie, le « Bernardin » - a décliné la feuille de route pour la traduction en
Méditerranée et lancé le « Manifeste de la Slovénie pour la
Traduction ».
Une feuille route qui regroupe les principales recommandations de la conférence – qui rappelle à la
nécessité d’une meilleure compréhension réciproque dans la région par la
traduction littéraire, des sciences sociales et de la culture – et qui s’engage
à recenser et à soutenir les différentes initiatives existantes dans le domaine
de la traduction - à créer un fonds de soutien pour les acteurs de la
traduction – à créer une plateforme interactive pour tous les usagers de la
traduction.
Le manifeste de la Slovénie pour la traduction, a fait
l’objet d’une pétition en ligne, initiée par le Collectif de
traducteurs, d'auteurs, de cinéastes et de metteurs en scène. La pétition a été signée en premier lieu par
d’illustres personnalités dont : Adonis, Roger Assaf, Alaa
Al-Aswany, Alessandro Barbero, Mohammed Berrada, Barbara Cassin, Georges Corm,
Costa-Gavras, Jean Daniel, Gilles Gauthier, Nedim Gürcel, Jens Christian
Grondahl, Sonallah Ibrahim, Richard Jacquemond, Drago Jancar, Khaled
Al-Khamissi, Claudio Magris, Ahlem Mosteghanemi, Wajdi Mouawad, Françoise
Nyssen, Erik Orsenna, Boris Pahor, Mazarine Pingeot, Danièle Robert, Fawzia
Zouari.
La conférence sur la Traduction pour le Dialogue - qui entre
dans le cadre du protocole d’accord signé entre la Fondation Anna Lindh et ses
partenaires : le Ministère des Affaires Etrangères de la République de
Slovénie et l’Université euro-méditerranéenne (EMUNI) – a bénéficié du soutien
de l’UNESCO, du Parlement Européen, de la Ministre de la Culture et de la
Communication de France et de l’Organisation Internationale de la Francophonie.
Maïmouna Saleck