Largement pratiqué aujourd’hui
dans la société maure, le mariage secret – ou es-siriya – était à l’origine une pratique exclusivement réservée à
une certaine catégorie de femmes. Des femmes généralement âgées de plus de 35
ans, soient veuves ou répudiées et qui possèdent une réputation ou un statut
social à préserver. Elles pouvaient ainsi épouser des hommes plus jeunes ou
d’une autre caste moins noble que leur sienne, sans s’attirer l’opprobre de
leur communauté.
Une couverture religieuse ou sociale ?
Navaa Ould Khattri, aakad (celui qui accomplit l’acte traditionnel du mariage), constate
que ce contrat social prend, aujourd’hui deux nouvelles formes
principales : la première légale, remplit exactement les mêmes conditions
que le mariage normal, excepté celle de la publication. C’est-à-dire que le
tuteur de la mariée, le marié ou son représentant et les 2 témoins sont
présents devant le aakad, la dot
est fixée et le contrat rédigé. Seule différence, l’une des parties demande à
l’assemblée la discrétion autour de ce contrat pour des convenances personnelles,
à la fin de la rencontre.
«Soit, le mari est déjà marié, donc c’est un cas de polygamie, et c’est
le cas le plus fréquent » explique le jeune aakad, «soit, le mari
appartient à une autre tribu ou une autre communauté. Dans ces deux cas-là, le
mari est généralement riche ou puissant – haut fonctionnaire ou notable- et les
parents de la fille (généralement jeune) sont complices. »
«La seconde forme plus répandue du mariage secret est moins regardante
sur les conditions légales » – poursuit Navaa – « elle se conclue généralement entre une femme chef de famille
(répudiée ou veuve) et un homme libre ou déjà marié – ou entre deux jeunes amoureux.
La formalité ici, se fait à la va-vite par le premier venu, sans témoins, ou à
postériori pour régulariser une grossesse non désirée. »
Tout ceci se passe bien sûr,
selon Ould Khattri, dans des formes contractuelles traditionnelles, sans aucune
validation par l’Etat civil. C’est au moment des litiges autour des questions
de paternité ou d’hérédité que les protagonistes pensent à régulariser leurs
statuts civils.
Lui-même a vécu, au sein de sa
famille et sur deux générations des problèmes de reconnaissance sociale et
d’hérédité. Son père, fils de l’esclave de son grand-père guerrier, n’avait pas
été reconnu par ce dernier de son vivant. Il a été privé de son nom et de son
héritage durant toute sa vie. Ce n’est que aujourd’hui, que les petits-fils ont
eu droit à leur patronyme et leur héritage, après un long combat social et
juridique.
Une solution aux frustrations générées par une société hypocrite.
« La société maure est une société hypocrite » s’insurge Fatma
mint Elkory, militante pour les Droits de la Femme. «Tout est apparence, aucune sincérité, aucune responsabilité. Nous ne
sommes pas une société polygame aux yeux des autres, alors qu’ici tout le monde
pratique la polygamie à travers le mariage secret. Pour résoudre les problèmes
et frustrations générés par une société qui se dit religieuse, conformiste, ses
membres pratiquent le mariage secret. »
Fatma explique que le laxisme
dans les interprétation et pratiques religieuses, conduit quelque fois à des
situations contraires aux valeurs et principes mêmes de la religion musulmane.
Finalement la femme est traitée comme une marchandise, plutôt que comme
partenaire sociale et le sens sacré de la famille se retrouve dépouillée par
ces opérations mercantiles. Le mariage secret doit rester dans son champ d’applications
initiales, c’est-à-dire un outil à usage limité pour garantir l’intégrité
morale et sociale des membres de la société, en attendant l’évolution des
mentalités.
« Autant, je trouve normal qu’une femme d’un certain âge pratique
es-serriya, autant je trouve anormal et déplorable que les jeunes filles la
choisissent comme solution à un mode de vie, qui frise la prostitution. »
Conclut-elle.
Au nom de l’amour.
Mohamed, 48 ans, directeur d’une
banque a été contraint, par amour, d’épouser la fille qu’il aimait au secret.
Issu de la caste des forgerons, considérée comme inférieure à celle des
guerriers, il ne pouvait prétendre à la main de sa dulcinée devant les hommes.
Malgré sa réussite sociale et sa
fonction, il ne pouvait épouser que ses cousines, selon son témoignage. Il
déclare que bien que la religion autorise ce mariage, il est inconcevable pour
la famille de son amoureuse d’accepter cette union.
Une union qui n’a pas duré, car
Mohamed vivait dans une terreur permanente de voir sa bien-aimée trahie et
malmenée à cause de lui. Il était persuadé que si ses parents apprenaient leur
mariage, ils allaient la tuer. Finalement, il a été contraint, par amour, de se
séparer d’elle.
Le mariage secret ne peut pas être une solution
Mariem, 51 ans, a pratiqué le
mariage secret pendant prés d’une décennie. « J’ai pratiqué es-seriya pour ne pas finir prostituée, dit-elle, pour me
préserver du haram (interdit religieux). Je ne voulais pas assumer les
responsabilités du foyer et des enfants : je voulais rester libre ».
Finalement, Mariem s’est sentie plus démunie
et plus dans le « péché » qu’avant cette aventure. Le mariage,
dit-elle, est un label, une position sociale, des droits et des devoirs. C’est
aussi un comportement collectif. La famille ou l’entourage perçoit différemment
une femme célibataire et femme mariée : la première est accessible pour
tous et la seconde est entourée d’une aura sociale qui la protège, plus ou
moins, des convoitises des hommes.
Aussi, elle explique, que
financièrement, la générosité des hommes s’arrête après les premiers jours de
noces. C’est la pression sociale qui fait que les hommes dans nos sociétés,
remplissent certaines obligations matérielles, sans cette pression, ils se
dérobent à leurs devoirs.
« Donc, déclare Mariem, es-seriya
ne règle ni les problèmes financiers, ni les problèmes affectifs, car tout est
éphémère. Passés les premiers moments, les problèmes ressurgissent pires
qu’avant. »
Article publié par Dune Voices.