mardi 18 août 2015

Le verre de thé qui tue (ou les ravages de l’hépatite B).


NB : Ceci est un avant-papier réalisé dans le cadre d'une formation à distance réalisée par Afrique Innovation.



Boire le thé en Mauritanie est le geste anodin, qui commence tôt le matin dans un bureau, au coin d’une rue, ou devant magasin, chez n’importe quel citoyen lambda, pour finir tard chez un ami, un parent ou un voisin. Un geste répété en moyenne 15 fois la journée. Ce thé est servi dans de petits verres qui peuvent faire le tour d’une centaine de  personnes par jour, sans jamais passer par la case savon.

Or, parmi les hôtes qui voyagent sur le rebord de ces verres, on retrouve des petits passagers clandestins : les virus de l’hépatite B, l’une des pathologies les plus meurtrières de ce siècle.

Les autorités publiques inquiètes :

Le ministre mauritanien de la santé, déclare le 31 juillet 2015, que l’hépatite virale demeure un problème majeur de santé publique en Mauritanie. Le ministère de la santé, donnait en 2012 des chiffres de la progression de cette pathologie : le nombre de personnes atteintes, passait de 10 à 12% du nombre total de la population : 500.000 personnes sont malades dont 470.000  ne le savent pas encore , dont 3.500 personnes  meurent chaque année en Mauritanie.

 Des chiffres qui pourraient augmenter dans les prochaines années, vue le taux de prévalence estimé à 25%. Pourtant, le vaccin existe et fait partie du Programme National Élargi de Vaccination en vigueur depuis plus de dix années dans le pays.

L’hépatite B expliquée :

  • Une hépatite est une maladie du foie, qui peut être aiguë ou chronique, virale ou non. L'une de ses formes les plus répandue est l’hépatite B qui est une infection virale souvent mortelle. Elle peut aussi développer un cancer du foie ou une cirrhose.

  • Le virus de l'hépatite (VHB) se transmet par le sang, le sperme, les sécrétions vaginales et la salive. Le virus peut rester vivant 7 jours à l'air libre hors du corps humain. Il existe donc un risque de contamination en cas de rapports non protégés, de transfusion sanguine, de piqûre avec des seringues contaminées, de coupures involontaires, rasoirs, ciseaux, brosses à dents contaminés et partagés. 
  • A ce jour, les traitements de l'hépatite B sont rares et trop onéreux. Donc, la vaccination, la      prévention, le contrôle, le dépistage et la sensibilisation sont  presque les seuls outils de lutte contre cette pathologie. 
L'hépatite et les mauritaniens :

En Mauritanie, les modes de consommation du thé et des boissons locales (thé à la menthe et le zrig frais) sont autant de facteurs de transmission, à grande échelle, de la pathologie, en plus des autres modes de transmission classique.

La coutume veut que les hôtes soient accueillis, d'abord par une calebasse de la boisson locale zrig (du lait caillé, dilué et sucré), qui fera le tour des invités, suivie par l'incontournable cérémonial du thé, dont les verres feront 3 fois le tour des hôtes avant d'être lavés.

C'est généralement au cours d'un dépistage fortuit que le malade apprend son affection : soit lors d'une donation de sang à un proche (examen pré-transfusion de sang), soit lors de l'examen prénatal chez la femme enceinte ou lorsque les signes de la maladie sont visibles (la jaunisse par exemple).


La santé publique :

Le premier réflexe chez le malade localement, est le recours au traitement par la médecine traditionnelle, tellement les doutes sur l'efficacité du système de santé dans le pays sont partagés, comme sur la couverture vaccinale.

Ceci est visible sur tellement d'autres pathologies endémiques qui continuent leur recrudescence tel que la malaria, la fièvre jaune, le sida, la méningite, la typhoïde, la tuberculose, la poliomyélite, la rougeole.
   
Se soigner en Mauritanie :

Les malades mauritaniens remplissent, de plus en plus, les salles d’attente des hôpitaux publics et privés à Nouakchott, mais aussi à Dakar, à Casablanca, à Tunis. 1 mauritanien sur 2 est malade. 

Pollution, intoxication, trafic de médicaments, qualité des services locaux de santé, niveau d’éducation, gestion publique : lequel de ces facteurs est  finalement le coupable de notre état de santé. 

mercredi 12 août 2015

Les étudiants étrangers des mahadhra en Mauritanie: entre candidats au jihad et clandestins ?

Les mahadhra mauritaniennes – appelées jadis universités du désert-  définies aussi comme écoles coraniques traditionnelles - sont suspectées  d’alimenter les filières radicales, extrémistes régionales et internationales.

Abou Yahya Al-Libi, Bechir El-Magribi, Abou Bacir Al-Libi, Abou Seyaff El-Tounissi, Iyad Ag Ghali, Aaron Yoon, Ali Medlej, Xristos Katsiroubas, Maxime Hauchard (alias Abu Abdallah al Faransi), sont des noms qui ont défrayé la chronique.

Ils seraient venus en Mauritanie pour apprendre dans les mahadhra et leur évocation alimente l’hypothèse de la mosquée et de la mahadra mauritaniennes comme pépinières du jihadisme.

Or, ces mahadhra jouissent, depuis plus de 800 ans, d’une solide réputation d’écoles coraniques et l’équivalent d’universités des sciences islamiques. Elles ont formé d’éminents savants (oulémas) reconnus dans la sous-région et même hors du continent pour leur comportement et leur savoir.

« L’enseignement des mahadhra, particulièrement recherché pour son accessibilité, sa richesse, sa diversité, est demeuré fidèle aux mêmes curricula qu’elle a toujours dispensé selon les mêmes pratiques » explique Mohamed Fall Ould BAH, chercheur et directeur du CEROS – Centre d’études et de recherches sur l’Ouest saharien.

(Insérer audio de Mohamed Fall Ould Bah qui donne une explication technique, en Français, du contenu des curricula enseignés dans les mahadras.  Ref. 1 – Audio – Mahadrah – Mimi)

Selon lui, le problème ne se poserait pas, en terme de contenu de l’enseignement religieux transmis au sein des mahadhra mauritaniennes - mais plutôt en terme de débouchées et de perspectives professionnelles pour ses sortants. Des sortants qui viendraient grossir les rangs des jeunes marginaux en mal de reconnaissance et d’avenir. Conclut-il.

Les universités du désert : un tremplin aux recruteurs jihadistes ?

 « Non, on ne peut pas incriminer le contenu de l’enseignement traditionnel » dit Mohamed Mahmoud Ould Aboulmaali, écrivain-journaliste, spécialiste des groupes armées au Sahara.  « Mais », ajoute-t-il « la configuration des mahadhra et leur mode de vie particulier, en font une source idéale d’infiltration pour l’endoctrinement des jeunes (…) Les groupes extrémistes du Maghreb envoyaient leurs recruteurs dans les mahadhra mauritaniennes pour enrôler des candidats au jihad ».

Selon Ould Aboulmaali, Abou Yahya Al-Libi, l’un des chefs charismatiques d’Al-Qaida serait venu en Mauritanie à la fin des années 80, pour apprendre les connaissances qui l’aideraient à construire son discours religieux. Il s’est, alors, rendu compte de l’absence de vigilance des cheikhs (les maîtres enseignants) des mahadhra, et de l’accessibilité des étudiants. Et c’est à partir de ce moment-là que les infiltrations de discours extrémistes, via des cassettes de Ben Laden ou des brochures, ont commencé dans les mahadhra.

Et les mahadhra des villes, sont-elles à l’abri des infiltrations ?

Depuis le milieu des années 2000, l’infiltration des mahadhra rurales est devenue plus complexe, grâce au système sécuritaire mis en place par les autorités mauritaniennes. Mais la ville, à travers ses mosquées et mahadhra pléthoriques, offre encore des espaces opératoires potentiels surtout auprès des communautés fragilisées.

Ould Aboulmaali est convaincu que, par exemple, les étudiants sub-sahariens, motivés pour l’apprentissage religieux, constitue une cible parfaite pour les enrôleurs. Ils sont, généralement, peu outillés pour discerner entre le bon et le mauvais discours, souvent isolés et donc très influençables. Le risque est d’autant plus élevé s’ils sont dans une situation de précarité matérielle. 
Or il y aurait un quart d’étrangers sur les 163.912 étudiants recensés dans les 1.836 mahadhra en Mauritanie. (source : Direction des Statistiques et de la Programmation du Ministère de l’Orientation Islamique, chiffres 2012). La plupart de ces étrangers viendraient de la sous-région, et souvent en groupe, à travers des filières traditionnelles de talibés (appellation traditionnelle d’étudiants).

Le récit de l’étudiant gambien Ismaïl, illustre bien ce cas de figure.  

« J’avais 10 ans lorsque mon père, me confiait en 1992, à une mission de l’institut Ibn Abbas de Nouakchott » dit-il. « Cette mission visitait les mosquées en Gambie, proposant de prendre en charge leurs enfants désireux d’apprendre le coran. Mon père, qui est imam, connaissait de réputation les mahadhra mauritaniennes et voulait que j’apprenne le Coran. »
Ismaïl rejoint alors un groupe de 40 enfants, dont le plus âgé n’a que 14 ans. Leurs familles n’ont pas les moyens de les envoyer à l’école, car en Gambie l’enseignement est payant.
Ismaïl se souvient encore très bien de la mahadhra a-Taqwa qui l’avait accueilli pendant près de vingt ans et de son tuteur, le Faqih Mohamed Fadel Ould Mohamed Lemine. Il en parle avec beaucoup de nostalgie. 

(Insèrer audio 2 – Récit Ismail – Mimi) qui relate son expérience personnelle.

Située en plein cœur de Tevragh Zeina, un quartier résidentiel chic de Nouakchott, la mahadhra d’a-Taqwa accueille en permanence des étudiants étrangers. En plus de l’enseignement, elle leur offre le gîte et le couvert dans un cadre sécurisant.

Mais, la mahadhra d’a-Taqwa ferme ses portes en 2011 et les étudiants gambiens qui s’y trouvaient, sont dans la rue. Ils squattent une maison abandonnée, située à coté, et s’en servent  comme abri beaucoup plus que de domicile.

Depuis ce jour, ils continuent à y accueillir leurs compatriotes, à apprendre, mais aussi à enseigner le Coran à leurs cadets (mauritaniens et étrangers) comme le faisait la mahadhra d’a-Taqwa.

Aujourd’hui, sans aucune ressource, ces étudiants clandestins, vivent dans le dénuement le plus total. Leur abri insalubre, qui leur sert d’école et de dortoir, ne possède aucune commodité : ni eau potable, ni électricité, ni sanitaires …

(Insérer 3 - Diaporama photos mahadhra Mimi : elles illustrent l’état du dénuement. & 4 – vidéo vidéo Mahadhra : elle illustre l’état de clandestinité de cette communauté.

Ismaïl qui repart dans son pays après une longue d’absence, s’inquiète sur le sort de ses compatriotes qui resteront après lui. Il veut rentrer, car dans son pays, beaucoup de jeunes enfants tout aussi démunis, l’attendent pour apprendre. Il espère ouvrir une mahadhra comme celle qu’il a connu en Mauritanie et pour se faire n’hésite pas à solliciter l’appui de tous ceux qui veulent bien l’aider.

Les universités du désert en voie de disparition ?

Infiltrations d’idéologies étrangères, mutations sociales, commerce religieux, concurrence anarchique …
Que deviendra la  mahadhra traditionnelle, avec ses valeurs d’altruisme, de partage, de générosité, avec son enseignement vénérable qu’elle diffusait, face à toutes ces incursions et turbulences ?

Parviendra-t-elle à survivre et à sauvegarder son riche patrimoine universel dans le monde tourmenté d’aujourd’hui ?  

Publié dans le magazine Dune Voices :
http://dune-voices.info/articles/90/etudiants-%C3%A9trangers-des-mahadhra-en-mauritanie-entre-candidats-au-djihad-et-clandestins.html

Les produits dépigmentants (khayssal) dans le trousseau de la mariée maure


A l’origine, le khayssal (mot Wolof donné aux produits dépigmentants) était utilisé par les personnes très pigmentées pour s’éclaircir le teint. Aujourd’hui, le phénomène gagne en ampleur et le khayssal  est utilisé, en plus, par celles qui ont déjà la peau claire pour devenir encore plus claire. Pire, cette pratique qui était du domaine du privé et du tabou, envahit des espaces publics, jusqu’à entrer dans les pratiques sociales traditionnelles.

« Pour être belle il faut souffrir »

« Cet adage prend toute sa dimension, lorsque », explique le Docteur Ahmed Ould Hedda, dermatologue, « l’on voit la souffrance des victimes de la « Qounboule », une bombe chimique  appliquée sous forme de crème sur la peau. Les veilles de mariage, on fait ingurgiter à la mariée, une mixture de plusieurs produits à base de corticoïdes, pour obtenir une dépigmentation accélérée. Cette pratique a un effet explosif - d’où le nom - sur l’état général de santé de la victime, car aucun organe n’est épargné. Ces ravages catastrophiques vont de l’atrophie de la peau, qui conduit à un vieillissement prématuré, à des formes d’acné, furoncles, dermatoses, jusqu’aux effets systémiques tels que l’hypertension, le diabète, l’insuffisance rénale (qui conduit à une baisse de l’immunité), ostéoporose (faiblesse des os). Le phénomène s’est propagé dans toutes les communautés, essentiellement chez les filles entre 18 et 45 ans. »

Lala, qui est praticienne traditionnelle, spécialisée dans les soins de beauté surtout chez les mariées, raconte le traumatisme qu’elle a subit le jour où elle épilait une dame à la cire : « je n’avais pas encore l’habitude de voir des peaux dépigmentées. J’étais en train d’appliquer la cire sur la cheville de ma cliente, lorsqu’une partie de la peau s’arracha. Je me suis retrouvée avec un pied sans peau, tout sanglant. Une image horrible qui m’a empêché de travailler pendant des mois. Depuis, ce jour, je suis vigilante : dès que je vois une peau translucide ou acnéique, je refuse d’appliquer la cire ou le henné ».

Selon Lala, il est quasi impossible d’appliquer le scotch qui sert de pochoir aux dessins artistiques du henné, sur une peau dépigmentée. « Je risque de l’arracher », dit-elle « au moment de l’enlever.  Le pire, c’est lorsque les mariées soumises à la bombe (Qounboula), reviennent du hammam - qui est l’étape ultime de la mise en beauté - elles sont dans un état de souffrance extrême : l’effet de la chaleur du hammam sur la peau traitée chimiquement, agit comme un détonateur en brulant la peau. J’ai vu les familles improviser un lit de melhafa (habit traditionnel des femmes) rempli de glaçons, sur lequel on allonge la mariée pour calmer ses brûlures ».

Des pratiques naturelles en voie de disparition.

« Je suis choquée par ces nouvelles pratiques, qui sont en train de remplacer nos vieilles bonnes traditions saines. C’est scandaleux, il faut faire quelque chose ! » S’insurge Lala.  Il était de coutume d’enfermer la mariée dans ses quartiers, juste après la demande officielle en mariage (ou khoutba) et ce jusqu’à la nuit de noces, pour une opération « Beauté ». Elle était prise en charge, durant cette période, par les amies de sa mère, de ses tantes, qui lui imposaient tout un programme diététique et cosmétique pour l’embellir : des céréales, du lait, des dattes comme alimentation et des massages aux huiles végétales (olive, karité, argan, coco, baobab) et au henné. »

« Aujourd’hui, elles ont remplacé ces produits naturels et pas chers, par des produits chimiques dangereux et très couteux. Elles sont pressées et ignorantes, et donc elles choisissent la facilité, même si c’est dangereux. Le drame aussi, c’est que l’on pense que l’on ne peut plus décrocher des produits chimiques, à cause de la difficulté de sevrage, et donc on se condamne pour la vie ». Conclut-elle.

« J’ai arrêté parce que j’étais devenue plus vilaine qu’avant… »

Mariem, 31 ans, avait commencé à utiliser les produits dépigmentant à l’âge de 27 ans. Elle voulait être plus belle et rêvait de porter de belles tenues. Mais très tôt elle s’est rendue compte qu’elle était en train de perdre sa peau, sa santé et ses économies. « J’étais obligée de me cacher tout le corps, j’avais honte, je ne pouvais plus sortir, je ne supportais plus aucun regard » confie-t-elle. « De plus, je dépensais plus de 8.000 UM par mois pour acheter un lait et un tube, que je devais mélanger en plus du savon. Un budget que je ne pouvais pas toujours obtenir. »

Aujourd’hui, sa peau est redevenue normale et elle se sent soulagée d’avoir échappé à cette « mort lente », comme elle dit.

Comprendre et soigner.

Mme Yaye Ndaw Coulibaly, docteur en Pharmacie et sénatrice, était en 2004 inspectrice des pharmacies au sein de l’inspection Générale de Santé. A l’époque, elle organisait des opérations « coups de poing» pour enlever les produits dépigmentants des commerces, pour sensibiliser sur le danger de ces produits. Mais cela ne suffit pas. « On a vu au Sénégal, que l’utilisation de ces produits est interdite et ici, rien n’est fait pour contrôler sa propagation. » dit-elle. « Un comble, lorsque l’on sait que c’est de là-bas, que nous avons hérité cette pratique ».  


«Nous voyons que le phénomène prend de l’ampleur », constate Dr Hedda, « et ce malgré toutes les prises de consciences, malgré toutes les campagnes menées. Il ne faut pas oublier aussi que la nature humaine fait que l’on n’est jamais satisfait de son état : les blancs veulent bronzer, les noirs veulent blanchir, etc. La couleur de la peau est aussi un symbole d’appartenance sociale. Mais, le phénomène qui est un problème de santé publique, demeure un problème fondamental d’éducation.»

Article publié dans le magazine Dune Voices : 
 http://dune-voices.info/articles/251/les-produits-d%C3%A9pigmentants-khayssal-dans-le-trousseau-de-la-mari%C3%A9e-maure.html